Aida Begic

Aida Begic est née à Sarajevo en 1976. Son premier filmSnijeg est sorti au Festival de Cannes en 2008, où il a remporté le Grand Prix de la Semaine de la Critique. En 2009, la réalisatrice fonde une société de production indépendante, Film House. Son deuxième long métrageDjeca a été présenté dans la section «Un Certain Regard» à Cannes en 2012: il a reçu la Mention spéciale du Jury. La Bosnienne a également écrit et réalisé le court métrageAlbum du projetThe Bridges of Sarajevo: an omnibus named Europe. Elle enseigne à l’Academy of Performing Arts de Sarajevo. Son troisième long métrageNever leave me, qui raconte l’histoire d’orphelins syriens, a été sélectionné par de nombreux festivals de films du monde entier et primé à plusieurs reprises. Aida Begić prépare actuellement son quatrième opus:A Ballad.
L’art de vivre!
par Aida Begic
Le 6 avril 1992 débutait le siège de Sarajevo. Ce fut l’un des plus beaux jours de ma vie. J’étais sur le point d’avoir seize ans. Au réveil, j’ai réalisé que j’allais arriver en retard en classe. Paniquée, je me suis précipitée dans le salon où mes parents m’ont annoncé d’une voix solennelle mais sobre qu’il n’y aurait pas cours ce jour-là. De toute évidence, aucun de nous n’aurait pu imaginer que c’était le début d’un siège brutal qui allait durer 1425 jours. De longs jours marqués par l’angoisse, la mort, la faim et la froid.
C’était agréable de ne pas aller à l’école. J’étais ravie de pouvoir retourner sous la couette: un plaisir illustrant la grande naïveté des habitants de Sarajevo qui croyaient jusque-là que la guerre pouvait éclater partout dans le monde excepté dans leur ville.
En grandissant en Yougoslavie, j’ai souvent entendu les gens dire à propos d’art et de culture: la base matérielle d’abord, la superstructure spirituelle ensuite. Une majorité de la population estime qu’il est plus important de construire des usines et des toits pour abriter les gens avant de les emmener voir un ballet.
Nous avons grandi et vécu avec la conviction que les arts et la culture étaient réservés à l’élite. Le siège a bouleversé cette croyance, nous faisant réaliser que les êtres humains ont besoin d’art même lorsqu’ils manquent d’eau et de nourriture. Pendant le siège, les habitants de Sarajevo ont risqué leur vie pour voir une pièce de théâtre ou assister à un concert. La base matérielle éliminée, la nourriture culturelle est devenue un besoin fondamental.
L’art permettait aux gens de préserver leur dignité. C’était un acte de résistance contre la barbarie et la destruction. Les gens se mettaient sur leur trente-et-un pour aller au théâtre. Les pièces étaient jouées à la lumière des bougies. Les projections de films étaient devenues rares en raison des coupures d’électricité. Chacune d’elle suscitait alors une grande joie.
J’ai commencé des études de cinéma et de théâtre durant la pire année de la guerre. L’hiver était glacial et la faim impossible à rassasier. Un cours d’histoire du cinéma demeurera à jamais gravé dans ma mémoire. N’ayant pas d’électricité, nous ne pouvions pas voir les films dont nos professeurs nous parlaient. Alors que nous étudions les œuvres d’Ingmar Bergman, le courant a enfin été rétabli. Notre professeur a décidé de saisir l’occasion pour regarderLe Septième Sceau. La salle était si froide que nous devions parfois nous lever et sautiller pour nous réchauffer. Le film était terminé et l’électricité toujours là. Nous avons alors visionnéLes Fraises Sauvages. Malgré la faim et le froid, nous avons regardé ce chef-d’œuvre dans son entier. Cette expérience inoubliable, bien que très inconfortable, m’a fait prendre conscience de l’importance de l’art. Ce dernier est essentiel pour l’être humain: c’est la plus belle expression d’humanité et de création de sens. Pour nous, les jeunes, créer des œuvres d’art à une époque de destruction était une forme d’évasion, mais aussi la proclamation d’un grand espoir. Tôt ou tard, le bien triomphera et la vie l’emportera sur la mort.
Chaque crise, économique en particulier, remet en question le rôle de l’art dans la société. Les restrictions budgétaires débutent toujours par des coupes dans les subventions culturelles. C’est très dommage. Les gens qui réduisent les budgets culturels coupent les ailes de leurs enfants. Néanmoins, à chaque crise, je me demande s’il vaut la peine de réaliser un nouveau film dans un pays n’accordant aucune importance au cinéma et une société consumériste qui produit trop de contenus visuels. Je me rappelle alors les films de Bergman et me rends compte que mon travail a du sens s’il change la vie ne serait-ce que d'une seule personne.
Vive l’art! Vive le cinéma!
Publié dans la revue UNE SEULE MONDE 01/2020
Filmographie
2008: Snijeg
2011: Do Not Forget Me Istanbul
2012: Djeca - The Children of Sarajevo
2014: Les Ponts de Sarajevo
2017: Beni Bırakma (Never leave me)
2021: Project «A Ballad»
Children Of Sarajevo (2012)
Rahima, 23 ans, travaille dans la cuisine d’un restaurant huppé de Sarajevo. Elle vit avec son frère Nedim, 14 ans. Elle a du mal à joindre les deux bouts avec son maigre salaire, mais elle essaie, envers et contre tout, de reconstruire une atmosphère familiale et de protéger Nedim. Dans une mise en scène superbement travaillée, Aida Begic laisse entrevoir une petite lueur dans une Sarajevo qui n’a pas fini de panser ses plaies dues à la guerre. Suite
Snijeg - Snow (2008)
“La neige ne tombe pas pour couvrir la colline, mais pour que chaque animal laisse une trace de son passage.” Six femmes, un grand-père, quatre petites filles et un garçon vivent à Slavno, village isolé et dévasté par la guerre. Leurs familles et amis ont été tués et leurs corps n’ont jamais été retrouvés. Les premières neiges vont les couper du monde et risquent de mettre la vie des villageois en danger. Suite